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Nous étions partis, mon père et moi, pécher la truite dans un torrent de montagne, le Rizzaneze, pas loin des aiguilles de Bavella en Corse. Mon père nous avait préparé quelques mouches, utilisant du poil de sanglier pour mieux imiter celles que nous avions pu cueillir alentour. Il les posait d’un mouvement ample et gracieux sur l’eau cristalline, sa canne en bambou refendu répondant avec précision au va et vient de son poignet. J’aimais regarder mon père pécher. La position de ses jambes, les pieds bien ancrés sur le rocher de granit rose, le torse légèrement avancé, un bras libre, maniant avec dextérité la canne, tel un métronome, l’autre contrôlant la soie du bout des doigts, prêt à ferrer.

Nous avions sorti quelques belles prises, relâché les plus petites. J’avais allumé un feu au raz de l’eau.

Nous avions l’habitude de faire cuire et de manger sur place notre plus belle capture. Après m’avoir rejoint, mon père a appuyé sa canne contre le tronc d’un figuier sauvage, il a extrait de la poche arrière de sa veste une magnifique fario dont les écailles multicolores brillaient sous le soleil. Il a glissé sa main dans la poche de son pantalon de pêche, a sorti son couteau dont il a plongé la longue lame damassée dans l'abdomen du poisson, l’ouvrant en deux pour le vider. Je regardais avec attention chaque geste, chaque mouvement, admirant avec quelle dextérité mon père répétait cette tradition.

Puis libérant le cran d’arrêt, il a replié, après l’avoir essuyé, la lame fine dans le manche en ivoire poli du couteau. Je le regardais faire en silence, les yeux remplis d’une fierté naturelle. Combien de truites, combien de sangliers, combien de châtaignes, de pommes, combien de branches ce couteau avait-il caressé et dans combien de poches avait-il voyagé?

Dans sa main, ce couteau qu’il me tendait maintenant.

- Je te le confie, mon père me l’a donné, j’avais ton âge, il est à toi maintenant... Prends soin de lui.

 

Tel père, tel fils ...

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